PAUL  ET  AMINTHE



  Charles (1851-1885)  sans postérité
 

 

 
 

Henri (1856-1912)

Louise Darrigol (1861-1946)

Paul (1887-1972)
  André (1887-1983)
     
    Pierre (1890-1981)

Paul(1814-1895)

Aminthe Claverie (1827-1907)

Albert (1859-1940)

Adèle Herbet († 1942)

Jacques(1891-1979)
Elisabeth(1893-1990)
    Albert (1897-1917)
     
 

Elisabeth (1861-1936)

Georges (1851-1933)

Marguerite (1879-1970)
  Jeanne(1883-1983)
    Henri (1886-1966)

André Moulonguet écrit (dans les années 68):

Né à Moncaup, Paul sera, à la mort de son père, le chef de la branche aînée. C’était un très bel homme très intelligent. Il ne fit que des études primaires. Pour le former et lui donner une culture juridique, son père lui avait fait faire un assez long stage dans une étude d’avoué à Pau.

 

Nous ne savons si c’est à l’occasion de ce stage qu’il rencontra Aminthe Claverie, ou si ce fut un mariage de présentation comme c’était la règle à cette époque, mais il en tomba aussitôt amoureux. La famille Claverie, d’un niveau social très supérieur puisqu’elle descendait de la famille noble des Claverie de Lahourcade-Pardies, hésitait beaucoup à envoyer cette jeune fille citadine s’enterrer à la campagne et exigeait du futur une situation financière importante. Elle estimait que les 6000 livres que Paul venaient d’hériter de son oncle Jean Moulonguet Moureu III étaient insuffisantes. C’est alors que Fanfan, qui avait été très avantagé par son oncle Jean Moulonguet Moureu III, ému par l’angoisse de son frère, lui donna de la main à la main la somme de cent mille francs, soit 40 millions de nos anciens francs 1968. Ce geste magnifique d’amour fraternel permit le mariage qui eut lieu à Pau le 11 décembre 1849.

[…]

Aminthe avait été élevée dans une institution de Pau et était fort cultivée. Nous possédons de nombreuses lettres de sa jeunesse, notamment sa correspondance avec M. Davezac. Nous n’avons malheureusement aucune lettre depuis son mariage et ne pouvons que supposer les réactions de cette jeune fille de Pau brusquement transplantée à la campagne dans un milieu si différent du sien. Après son mariage, son arrivée à Moncaup fut un triomphe : son mari était déjà maire, y jouissant d’une grande autorité. Tout était pavoisé : partout des arcs de triomphe ! Mais elle fut choquée de devoir prendre ses repas avec les domestiques à la cuisine et obtint rapidement qu’on organisât une salle à manger où elle prenait ses repas avec son mari. Elle devint aussitôt la reine incontestée de Moncaup et ce mariage fut une vraie réussite, son mari étant toujours en adoration devant elle. Il faut dire qu’avec ses boucles à l’anglaise elle était ravissante, et savait aussi bien recevoir les châtelains des environs que les amis paysans de son mari. Le Bouscassé était une maison accueillante à tous et aucun fonctionnaire ne passait dans la commune sans y être invité.

 

Paul et Aminthe aimaient à jouer au whist et au poker, peut-être un peu trop si l’on en juge par l’histoire suivante : un soir de printemps 1876, toute la famille jouait au poker avec les voisins. Le troisième fils Albert qui n’avait que 17 ans gagna 800 francs (soit 32000 anciens francs de 1968). Enthousiasmé par son succès, il offrit à son frère aîné Henri âgé de 20 ans, et à son ami Alfred Dieuzède, d’aller voir la mer à Biarritz. Au cours de cette expédition, ils voulurent aller jouer au casino ; mais étant donné leur âge, l’accès de la salle de jeu leur fut interdit. Le jeune Albert se rebella contre cette interdiction, affirmant qu’il savait jouer puisqu’il venait de gagner 800 francs ! Ce fut en vain.

 

Paul Moulonguet était d’un bonté exquise. Il adorait ses petits enfants qui passaient toujours la majeure partie de leurs vacances à Moncaup, et il en était adoré. Il nous avait promis un petit âne sur les bénéfices que devait donner plus tard la vigne de Trépadé qu’on devait replanter, le phylloxéra faisant son apparition dans le pays. Cette replantation ne fut d’ailleurs réalisée qu’après sa mort.

 

Souvent notre grand-père nous appelait dans les caveaux du chai et il nous offrait un peu de ce merveilleux vin sucré de 1847 récolté sur les vieilles vignes au dessous de la route de Monpezat qui a laissé un tel souvenir dans notre génération. Une des dernières grandes joies de notre grand-père fut la magnifique et délicieuse récolte de vin de 1893, la dernière avant l’invasion définitive du phylloxéra. On avait récolté plus de cent barriques de 300 litres, dont 90 dans la seule pièce de Pélanne.

 

Paul Moulonguet avait été élu très jeune maire de Moncaup et il le resta de longues années. Il fit capter plusieurs fontaines, notamment celle de Latrilhe. D’accord avec les Brouzenq Brouquère, il fit déplacer la route qui autrefois longeait la maison pour élargir la cour et créer le petit jardin qui sépare la route de la maison.

 

Il avait une grosse influence sur ses concitoyens et, au moment des élections, son intervention pour un candidat était toujours très efficace. Il était républicain de tendances libérales. Il avait été le seul maire du canton ayant voté en 1848 pour Cavaignac et, dans le suite, contre Napoléon.

 

La vieillesse de Paul Moulonguet fut attristée par des déboires qui eurent pour origine une partie de chasse matinale. Passant à six heures du matin devant la maison Latrilhe, il aperçut le curé de Moncaup sautant par la fenêtre de Madame Latrilhe. Celle-ci était la mère de Jeanne Latrilhe, à cette époque une petite fille morveuse, mais qui plus tard partit pour Paris, y brilla comme étoile de music hall sous le nom d’Odette Dulac. Cette sortie insolite du curé de chez sa paroissienne indigna le maire, qui lui reprocha vivement sa conduite. Le curé ne lui pardonna pas, et une lutte homérique s’engagea entre les deux hommes. La commune en fut bouleversée et se divisa en groupes hostiles. Un jour le curé parla en chaire de cette femme qui “ non contente de porter l’écharpe du maire, voulait aussi porter l’étole du curé. ” Aminthe ne releva l’attaque que par une moue dédaigneuse. La lutte dura plusieurs années. Le curé sut attiser la haine des habitants de Floris. Il les persuada qu’il y aurait intérêt à transporter l’église et le cimetière dans leur quartier. Aux élections suivantes, Paul arriva bien en tête, mais sa liste perdait la majorité, et il démissionna. Le nouveau conseil municipal prépara la reconstruction de l’église à Floris, et le transport du cimetière. Il fit la nouvelle route de la Biorgue, qui réunit la route de Vidouze à celle de Monpezat à la croix de Loriot, alors qu’autrefois cette route débouchait devant le Bouscassé.

 

Plus tard, toutes ces querelles s’oublièrent et quand Paul Moulonguet mourut à Moncaup le 5 juin 1895, la population vint en foule à son enterrement.

 

Aminthe était née à Dax le 26 juillet 1827 et était le fille de Justin Claverie et d’Uranie Cantin et la petite-fille du président Claverie. Elle était fière du sang bleu qu’elle portait dans ses veines, étant issue d’une famille noble des deux côtés. Néanmoins la transplantation de cette charmante jeune femme, habituée à la vie mondaine de la bonne société, dans une famille d’un milieu tout différent, fut une réussite et elle s’adapta parfaitement à sa nouvelle situation. De son côté, son entourage se haussait à la tenue nécessaire pour ne pas déplaire à cette élégante jeune femme devenue l’idole de son mari et de toute sa belle famille.

 

Nous ne l’avons connue que déjà âgée. Elle avait gardé ses yeux clairs, gris bleu, très vifs, les boucles anglaises de sa jeunesse qui encadraient son visage, l’air majestueux et cette bonne grâce qui caractérise la grande dame. Son accueil, toujours aimable, savait varier selon qu’elle recevait la visite de la Pépouziguère d’en face ou celle, annuelle, du comte Luppé de Corbère.

 

Elle traitait le personnel domestique comme on devait le traiter au XVIIIème siècle, avec une verdeur de langage qui nous étonnait, et la conscience très nette de sa supériorité de classe. Les petits domestiques, les “ drôles ” comme elle les appelait, étaient calottés d’une main leste et énergique, spécialement si elle était surprise dans son tub, ce dont sa pudeur ne s’effarouchait pas.

L’un d’eux portait gravement le paroissien de sa maîtresse, à quelques pas derrière elle, lorsqu’elle se rendait à la messe. Ses femmes de chambre étaient constamment appelées, houspillées. Suivant les usages de l’époque, elle se faisait coiffer par elles. Elle n’avait jamais passé les bas sans leur aide. Nous l’avons vue sonner sa fameuse Rose pour ramasser son mouchoir tombé par terre.

Elle avait parfois fort à faire pour essayer de les éduquer et de les policer, comme le raconte l’anecdote suivante : une de ses servantes, qui ne brillait ni par son intelligence, ni par la connaissance des bons usages, vint un jour lui annoncer la visite de la domestique du maître d’affaires :

- “ Madame, dit-elle, c’est mademoiselle Anna. ”

- “ Quelle est cette demoiselle Anna ? ” questionna Aminthe.

- “ C’est celle de chez Faucou ”, répliqua la servante.

- “ Comment ”, s’écria Aminthe vivement contrariée, “ vous appelez Mademoiselle la fille d’un domestique ? Dites Anna tout court ! ”

Mais le soir arriva une véritable visite, celle de notre tante Anna Laurens de Monpezat. La même servante, qui ne s’attachait qu’à la lettre des observations qu’elle venait de recevoir, annonça :

- “ C’est Anna. ”

- “ Quelle Anna ? ”

- “ Anna, de Monpezat. ”

- “ Comment, ma fille, vous osez appeler ainsi mademoiselle Anna par son seul prénom ? Vous êtes une insolente de mettre ainsi les membres ma famille au rang de nos serviteurs ! ”

 

Malgré sa vivacité, Aminthe savait se faire aimer de tous dans cette maison où cohabitaient en bonne intelligence le jeune ménage Paul, ses beaux-parents Pierre André et Marie Duffau et Pierre Georges son beau-frère bossu et célibataire.

 

Elle avait été une cavalière remarquable, mais ne montait plus à cheval quand nous étions enfants. Elle dirigeait sa maison avec autorité, veillait à sa bonne organisation et à la perfection des repas. Elle aimait garder ses invités pour le dîner (qu’on appelait souper en Béarn) : une galantine de volaille était toujours prête. Puis elle se mettait au piano et faisait danser polkas et mazurkas. Dans sa jeunesse, elle aimait chanter des romances et obtenait d’après nos parents de grands succès.

 

Dès 5 heures du matin, notre grand-mère sortait de sa chambre et l’on entendait ses pantoufles à talon marteler le corridor. Elle allait réveiller son personnel : le bouvier pour qu’il fasse boire les bœufs, la cuisinière qui devait cuire le pain au four. Quand nous descendions vers 8 heures dans la cuisine, elle était installée coiffée d’un coquet bonnet blanc à garniture tuyautée dont les brides encadraient son visage. Près de la table, elle préparait le café, opération compliquée dont elle ne laissait le soin à personne. Sur la table, il y avait le grand filtre et plusieurs cafetières de porcelaine destinées à recevoir soit le café du petit déjeuner, soit celui du midi, soit la “ repasse ” destinée aux domestiques. Elle allait ensuite visiter le pigeonnier, choisissant les pigeons qu’il fallait manger, puis ouvrait le poulailler, comptait les poules et ramassait les œufs. Vers dix heures, elle montait dans sa chambre et sonnait sa femme de chambre qui la coiffait, l’habillait et la chaussait. Elle descendait ensuite au salon, s’asseyait devant son métier à tapisserie et n’en bougeait guère que pour les repas ou par les belles après-midi pour s’installer sur le “ trottoir ”. C’est de ces postes d’observation qu’elle surveillait les domestiques, le passage sur la route des piétons et des voitures, les colloques autour du puits où toutes les femmes du quartier venaient chercher leur eau potable, toujours fraîche même durant les étés torrides.

 

C’est peu de temps après la mort de son mari, en 1897 je crois, que, d’accord avec ses enfants, et sur les plans de Félix Julien, Aminthe fit faire des agrandissements importants dans la maison du Bouscassé. Jadis la porte d’entrée s’ouvrait sur un couloir menant à l’escalier sous lequel un étroit réduit servait de chambre de bonne (plus tard, avec l’amélioration du sort des domestiques, ce réduit devint notre chambre noire photographique). Ce couloir devint partie intégrante de la salle à manger, ainsi bien agrandie. La chambre derrière le salon devint le vestibule. Au premier étage il y avait une sorte de grenier appelé “ le ballet ” qui fut transformé en chambres. Enfin les deux côtés de la maison furent surélevés d’un étage pour y créer des chambres. Ce sont ces agrandissements qui nous ont permis depuis de coucher jusqu’à 34 personnes dans cette maison de famille (avec une certaine bonne volonté).

 

Aminthe Moulonguet mourut à Moncaup en juillet 1907, unanimement pleurée par toute cette famille si étroitement unie.

Aminthe vers 1850
Aminthe vers 1850

LETTRES

 

Lettres d'Aminthe à Adèle, sa belle-fille d'Amiens

 

STYLE : En 1899, Aminthe envoie 42 lettres à Adèle, avec 42 au revoir différents, toujours plus charmants et remplis d’amour :

 

« Adieu ma chère enfant, embrasse tout le monde, même le grand. Je vous aime bien »

 

« Adieu ma bien chère Adèle, je vous aime de tout mon coeur »

 

« Adieu ma chère enfant, embrasse tout ton monde et sois persuadée que je vous aime bien »

 

« Adieu, mes chers, à vous de tout mon cœur »

 

« Adieu, ma chère Adèle, je suis occupée mais mon cœur ne reste pas moins une bonne partie de la journée au milieu de vous six »

 

« Je vous aime et combien je désire voir venir le mois de septembre »

 

« Adieu ma chère enfant, embrasse pour moi ton grand mari que je charge de la réciproque et tous les marmots »

 

« Adieu ma chère Adèle, je vous embrasse moins fort que je ne vous aime »

 

« Adieu ma chère enfant, je vous aime bien et ne demande rien d’autre que d’être payée d’un franc retour »

 

« Adieu ma chérie, je vous embrasse, même mon grand géant de fils s’il va te voir cette semaine »

 

« Adieu, ma chère enfant, qu’il me tarde de frotter mon vieux museau contre toutes vos jeunes joues »

 

« Je vous embrasse de tout mon cœur car je vous aime bien »

 

« Mille tendres baisers »

 

« Adieu mes chers enfants, je vais me coucher, je ne vous quitte pas malgré cela, car dormant très peu, je pense encore plus à vous la nuit que le jour et je vous aime bien. »

 

« Adieu, mes chers enfants, je vous envoie mille tendresse de mon cœur bien plein de vous »

 

« Adieu, ma chère enfant, mille souhaits, mille baisers »

 

« Adieu ma chère Adèle, embrasse pour moi tes deux bicyclistes et leur père ; félicite Lili de ses progrès en lecture ; quant à bébé, rien de particulier, je pense que lui parler de moi ou du roi Dagobert lui serait pareil. Je vous aime »

PETITS-ENFANTS

 

« LE VENT MOULONGUET »

(mercredi 19 novembre 1899)

« J’espère que les mioches débutent bien et que tu dois être satisfaite d’eux ; le vent souffle du bon côté, partout où il y a un Moulonguet dans un lycée, Pau, Agen, Amiens. »

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LOULOU (née en 1877) (Loulou n’est pas petite-fille d’Aminthe, mais petite-nièce)

(jeudi 14 décembre 1899)

« Je sais depuis longtemps que Loulou est une enjôleuse, aussi je ne mets pas une minute en doute la façon dont vous allez, grands et petits, essayer de la gâter, mais la chose est impossible, elle le serait depuis longtemps si quelque chose de mauvais pouvait avoir prise sur cette exquise nature. »

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MARGUERITE (née en 1879)

(Jeudi 9 mars 1899)

« Tout en étant fort reconnaissante à tous les Palois et les Paloises d’avoir ainsi gâté sa fille, Lisbeth craint que cette vie de dissipation lui fasse trouver bien monotone leur vie calme et presque monacale d’Agen. J’ai meilleure opinion de Margot et la croit assez intelligente pour se plaire et savoir s’occuper dans tous les milieux où elle se trouvera. »

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JEANNE (née en 1883)

(jeudi 26 octobre 1899)

« Lisbeth se plaint que Jeanne engraisse de plus en plus et fait craquer tous ses corsages, mais aussi, dit-elle, elle mange d’une manière désolante ; c’est son âge, cela lui passera et la graisse avec. »

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HENRI (né en 1886)

(jeudi 4 mai 1899)

« Henri, lui, a du haut et du bas, les dernières notes étaient bonnes, mais la note générale, toujours la même : élève très intelligent, mais distrait. »

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ANDRE ET PAUL (nés en 1887)

(jeudi 4 mai 1899)

« André est aussi intelligent que Paul, mais il serait à désirer pour lui que cette maudite frousse qui le rend malade quand il faut composer et qui heureusement semble diminuer, lui fasse de sérieux adieux. »

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PIERRE ET JACQUES (nés en 1890 et 1891)

(mercredi 18 octobre 1899)

« Tous mes compliments et ma vive satisfaction, ma bien chère Adèle, pour la façon dont vos fils débutent au lycée, 3e et 5e, pour des enfants élevés chez eux, qui ne savaient pas ce que composer avec d’autres signifiait, qui ont dû avoir toute l’émotion d’un début, c’est fort joli et permet de beaucoup espérer pour la suite. Ils sont sérieux, intelligents, travailleurs, comment ne réussiraient-ils pas ?

 

(mercredi 29 novembre)

« Tu me dis, ma chère Adèle, que vous avez secoué Pierre parce qu’il n’était que huitième, alors que son frère était premier, mais j’espère que vous ne l’avez fait que moralement, je crois que c’est bien suffisant avec un enfant aussi sensible et aussi impressionnable que celui là. Il a un grand amour-propre et je suis persuadée que cela seul le fera travailler ; et il ne voudra être au-dessous d’aucun. »

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LILI (née en 1893)

(Jeudi 2 mars 1899)

« Je ne suis pas surprise que, l’amour-propre aidant, Mlle Lili  veuille apprendre à lire, c’est une jeune personne qui fera vite et bien tout ce qu’elle voudra faire, mais si sa petite volonté s’accentue, elle ne fera que ce qu’elle voudra. »

 

(Jeudi 9 mars 1899)

« Pourvu que Pierre, Jacques et plus tard Albert travaillent, je t’avoue que la paresse de Lili m’inquiète peu, elle a assez d’amour-propre, toute jeune qu’elle est, pour ne point vouloir être inférieure à ses compagnes. Elle galopera quand elle voudra bien se mettre à travailler. »

 

(jeudi 28 décembre 1899)

« Tu ne me parles pas du tout des progrès de Lili et je suis sûre qu’elle en fait beaucoup, elle est si intelligente. »

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DOMESTIQUES

(Jeudi 2 mars 1899)

« Quel ennui que ces domestiques, ma chère Adèle, et avec cela, tu as bien fait de les garder car sur les tiens, tu as au moins Christine, qui a réellement de la valeur, tandis que moi je garde et ils ne valent pas plus l’un que l’autre, le mari et la femme. La femme de chambre n’est pas une mauvaise fille, mais c’est l’insouciance faite femme. »

 

(Jeudi 9 mars 1899)

« Est-on assez malheureux avec ces maudits domestiques, tantôt sous un prétexte tantôt sous un autre, ils ne sont bons qu’à nous gâter l’existence ; que ne peut-on s’en passer. »

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MONCAUP

(jeudi 20 juillet 1899)

« Madame Brouquère ma voisine a enrichi le quartier d’une nouvelle fille, je ne sais pas si c’est quatorze ou quinze que nous en possédons, les garçons y sont en grande minorité, ils auront plus tard de la besogne. »

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 FÊTES

(jeudi 21 décembre 1899)

« Sainte Lucie a été très fêtée et très animée ailleurs qu’au Bouscassé ; on a dansé toute la nuit deux jours au Barraniet, un monde fou ; maintenant nous entrons dans les fêtes sacrées, samedi l’Adoration, dimanche, lundi, Noël, quel bon temps pour les fainéants. »

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René Ancely écrit :

Paul Georges Moulonguet, frère de Sabine, était l’aîné des garçons. Après la mort de ses parents, il devint chef de famille et il a continué la ligne directe de la famille. D’après les souvenirs de son petit-fils Paul, c’était un bel homme ; remarquablement intelligent, il n’avait fait que des études primaires ; mais pour le former et lui donner une culture juridique, son père lui avait fait faire un stage dans une étude d’avoué à Pau. Il épousa à Pau le 11 décembre 1849 Aminthe Claverie, née à Dax le 25 juillet 1827. Aminthe était la fille de Justin Claverie, entreposeur de tabacs, et d’Uranie Cantin. Les deux familles avaient une ascendance noble ; les ancêtres Cantin avaient été seigneurs de paroisse et leur origine se situe à Dax ou à Saint Pandelon dans les Landes. Quant à la famille Claverie qui était issue de la maison noble de Pardies (Basses-Pyrénées), elle comptait, dans ses ascendants, des professeurs de droit, des procureurs au parlement, et le grand-père d’Aminthe fut le premier président de la cour d’appel de Pau lors de sa création sous le premier empire. Paul Georges Moulonguet entrait donc dans une des meilleures familles de la région. Outre les biens dont il avait hérité de ses parents, il reçut de son frère Jean dit Fanfan une somme considérable (100 000 frs dit Paul Moulonguet) que ce dernier lui donna en compensation des avantages qu’il avait lui-même reçus de son oncle Jean Moulonguet Moureu n° 5.

                  Paul et Aminthe firent un excellent ménage. Ils s’adoraient ; leur maison de Moncaup était accueillante à tous ; ils y tenaient table ouverte et aucun fonctionnaire ne passait dans la commune sans être invité. Il nous reste d’eux une belle photographie où, dans l’intimité, et assis devant une table à jeu, ils se livrent à un des plaisirs favoris de Paul : le whist.

                  Paul Georges Moulonguet fut élu très jeune maire de Moncaup ; il le resta presque toute sa vie. Il fit capter plusieurs fontaines, notamment celle de la Trilhe. Il avait une grosse influence sur ses concitoyens. Au moment des élections, son intervention pour un candidat le faisait élire à une grosse majorité. Il était républicain de tendance libérale ; il était le seul maire du canton ayant voté pour Cavaignac, et, dans la suite, contre le Prince Président. Il ne dédaignait pas, d’ailleurs, de prendre ouvertement parti pour ses idées et les principes qui lui paraissaient justes.

                  Nous en trouvons un exemple dans un incident qui éclata dans le département des Basses-Pyrénées au sujet des élections de l’Assemblée Législative du mois de mai 1949.

                  Le futur Napoléon III n’était alors que Prince Président de la République, depuis 1848, et nous n’avons déjà appris que Paul Moulonguet n’avait pas voté pour lui.

                  Deux listes étaient en présence : celle prônée par le journal modéré (on dirait aujourd’hui conservateur) « Le Mémorial des Pyrénées » ; l’autre avait l’agrément du journal Républicain « L’Observateur ».

                  La propagande officielle se développait en faveur de la liste du Mémorial, et ce journal faisait une campagne très dure contre les Républicains, les traitant de « socialistes ». C’était l’épithète que l’on appliquait alors aux candidats de gauche car l’adjectif communiste n’était pas encore né.

                  Paul Moulonguet fut donc pris à partie en ces termes par le mémorial du 4 mai :

« Le maire d’une commune du canton de Lembeye ayant refusé au mépris de la loi, de laisser placarder des affiches électorales dont un exemplaire avait été préalablement déposé entre ses mains, conformément à cette même loi ; le Comité a pris des mesures pour qu’il fut procédé sans retard à l’affichage dans cette commune. Dans le cas où ce magistrat persisterait à y mettre obstacle, le Comité de Pau est résolu à déposer contre lui une plainte au Parquet, et à le poursuivre devant les tribunaux ».

Paul Moulonguet, se sentant personnellement visé, se justifia, non sans habileté et avec un certain esprit, et il répondit aux accusations dont il était l’objet en adressant au journal « L’Observateur » la lettre ci-après qui fut publiée le 11 mai.

« Moncaup le 10 mai 1849

« A Monsieur le rédacteur de l’Observateur des Pyrénées

« Monsieur le Rédacteur

« Monsieur Sempé, pharmacien de Lembeye, répand le bruit dans nos contrées, que je dois prochainement être révoqué de mes fonctions de Maire de Moncaup, parce que, dit-il, je me serais refusé, contrairement à la loi, d’afficher la liste dressée par le Congrès des Comités modérés de ce département.

« En présence de cette nouvelle, qui me fait supposer aujourd’hui que je suis l’objet d’un article inséré dans le Mémorial du 4 mai courant, je crois devoir déclarer publiquement :

« Que le samedi 28 avril dernier, un homme de Lembeye, que l’on m’avait assuré être le facteur de cette ville, pour me remettre de la part dudit Sempé, deux exemplaires de la liste en question, avec invitation de les afficher le jour même, à la porte de l’église. Comme j’étais absent ce jour là, il chargea mon père de la commission.

« Le lendemain, je crus bien faire de lire à haute et intelligible voix, devant la population de Moncaup, réunie devant l’église à l’issue de la messe paroissiale, la liste dont il s’agit et le manifeste qui la précédait ; mais j’observai à mes administrés que je ne pouvais ni ne devais afficher ces écrits, pour respecter l’arrêté de Monsieur le Préfet, en date du 6 décembre dernier, portant défense d’afficher tout écrit public, autre que les actes de l’autorité.

« J’avais cru jusqu’à ce jour, que les instructions de Monsieur le Préfet étaient le Code des pauvres Maires de campagne, et devaient leur servir de guide dans l’exercice de leurs modestes fonctions. Mais il paraît que je me suis trompé, puisque Monsieur le Rédacteur du Mémorial, qui dit-on est un avocat de premier mérite, me menace de me traduire devant Monsieur le Procureur de la République, si le fait dont je me suis rendu coupable se renouvelait.

« Quant à la destitution qu’annonce Monsieur Sempé, je la verrais arriver avec le plus grand respect, si mes supérieurs estiment que j’ai failli dans l’exercice de mes fonctions, car je suis de la religion des personnes qui veulent que les fonctions publiques soient exercées par des hommes probes et impartiaux.

« En résumé, j’affirme que ma déclaration est de la plus exacte et de la plus rigoureuse vérité, et je défie Monsieur Sempé et Monsieur le Rédacteur du Mémorial, de trouver une seule personne qui puisse ma contredire.

« Monsieur Sempé vient de me faire l’honneur de m’attribuer un grand rôle dans ces élections ; il veut faire savoir publiquement que je suis hostile à la candidature des noms honorables qui figurent sur la liste du Mémorial. Je déclare ici bien haut que j’ai des sympathies pour une des personnes qu’il prône lui-même, et que si je vote pour elle, c’est par un sentiment, du moins aussi avouable que celui qui le fait mouvoir depuis deux mois.

« Je vous prie, Monsieur le Rédacteur, de bien vouloir insérer ma lettre dans un de vos prochains numéros, et me croire en même temps, votre serviteur obligé ;

« Le Maire de Moncaup - Paulin Moulonguet »

 

A la suite de cette protestation aussi digne que mesurée, le Mémorial répondit le 12 mai, par un entrefilet un peu alambiqué, où il rendait un hommage indirect à la probité et à l’impartialité du Maire de Moncaup, tout en couvrant son correspondant de Lembeye. Le voici intégralement reproduit :

« Monsieur Moulonguet, Maire de Moncaup, dans une lettre adressée à L’Observateur, explique comment les affiches émanant du Comité Central Electoral n’ont pas été apposées dans sa commune.

« S’il est vrai qu’il ait simplement refusé d’apposer ou de faire apposer lui-même ces placards, il a usé de son droit.

« Mais s’il s’était opposé à l’affichage par une autre personne de documents signés et déposés entre ses mains, il aurait violé la loi qui existe ; nous sommes bien aises de le lui apprendre indépendamment de sa publication dans les circulaires préfectorales.

« Quant à Monsieur Sempé contre qui Monsieur Moulonguet dirige incidemment quelques attaques, nous sommes heureux de pouvoir lui rendre ici ce témoignage, que la cause de l’ordre n’a pas de défenseur plus dévoué, plus désintéressé que lui. »

 

Et l’incident fut clos.

A quel candidat de la liste modérée, Paul Moulonguet réservait-il ses sympathies ? Nous ne le saurons jamais. Parmi les dix sièges qu’il y avait à pourvoir dans le département des Basses-Pyrénées, un seul candidat était de la région proche de Moncaup et de Lembeye : c’était le baron de Laussat originaire de Morlaàs-Bernadets.

En tous cas, les élections qui eurent lieu quelques jours après, amenèrent à l’Assemblée Législative neuf candidats de la liste du Mémorial ; un seul de la liste républicaine fut élu.

 

Sa vieillesse fut attristée par des déboires politiques et municipaux. Ils eurent pour origine un petit scandale qui se déroula dans la commune. Paul Moulonguet surprit un jour, le curé sautant de la fenêtre de la dame Latrilhe ; celle-ci était la mère de Jeanne Latrilhe, qui brilla à Paris comme étoile de music-hall sous le nom d’Odette Dulac. Cette sortie insolite du curé de chez sa paroissienne indigna le maire qui lui reprocha vivement sa conduite. Le curé ne lui pardonna pas, et une lutte homérique s’engagea entre les deux hommes. La commune en fut bouleversée. Un jour, le curé parla en chaire de « cette dame qui, non contente de porter l’écharpe du maire, voulait aussi endosser l’étole du curé ». Aminthe Moulonguet ne releva l’outrage que par une moue dédaigneuse ; mais on eut du mal à empêcher son mari de se livrer sur son adversaire à des voies de fait. La lutte dura plusieurs années ; l’abbé sut attiser la haine des habitants du quartier de Floris ; il les persuada que la mairie étant déjà installée chez eux, il fallait y transporter l’église et le cimetière. Il contribua aussi à faire établir le projet de la « route de la Biorgue » qui réunit la route de Vidouze à celle de Monpezat à la croix de Loriot, alors qu’auparavant cette route débouchait devant le Bouscassé.

Jean Moulonguet rappelle les luttes épiques qu’il y avait à l’occasion de la fête de Ste Luce entre les partisans du Château (Bouscassé) et ceux de Floris. Le bal du Château avait lieu chez Loriot, et les repas au Bouscassé étaient pantagruéliques.

Paul Moulonguet avait toujours réagi vigoureusement contre les entreprises du curé et de ses autres adversaires ; mais aux premières élections qui suivirent ces âpres polémiques, il arriva bien en tête, mais sa liste perdit sa majorité et il démissionna. Toutes ces querelles furent oubliées plus tard, et quand il décéda les habitants de la commune et de la région assistèrent en foule à ses obsèques.

Paul Moulonguet resta toute sa vie un être parfaitement bon, spécialement pour toute sa famille. Il adorait ses petits-enfants, et ceux-ci le lui rendaient bien. Il leur avait promis un petit âne sur les bénéfices que devait donner la vigne de Trépadé qu’on allait replanter. Il les appelait dans le caveau du chai où il leur offrait une petite goutte de ce merveilleux vin de 1847, sucré comme du vin de Samos qu’on récoltait sur les vieilles vignes avant le phylloxéra. Quelle réputation avait dans la famille ce vin de 1847, avec quelle religion on le dégustait lorsque, au cours de ces plantureux déjeuners qu’offrait à Monpezat tante Anne Laurens, elle en annonçait une bouteille (toujours la dernière) !

La femme de Paul, Aminthe Claverie, était fière du sang bleu qu’elle portait dans ses veines ; elle était apparentée, nous l’avons dit, à des familles nobles, tant du côté paternel que du côté maternel. Néanmoins, cette transplantation d’une charmante jeune femme habituée à la vie mondaine de la bonne société dans une famille d’un milieu tout différent, fut une réussite. Il est vrai qu’à cette époque de communications difficiles, où en l’absence de chemins de fer, la circulation ne se pratiquait qu’en chars à bœufs ou à cheval, la jeune « dame » du Bouscassé fut séparée de ses précédentes habitudes, mais elle s’adapta parfaitement à sa nouvelle existence. De son côté, son entourage se haussait à la tenue nécessaire pour ne pas déplaire à cette élégante jeune femme devenue l’idole de son mari et de toute sa belle-famille. Nous ne nous souvenons d’elle que déjà âgée ; elle avait gardé des yeux clairs gris bleu très vifs, les boucles anglaises de sa jeunesse, le front haut, l’air majestueux et cette bonne grâce qui caractérise la grande dame.

Elle traitait le personnel domestique comme on devait le traiter au XVIII siècle, avec une verdeur de langage qui étonnait, et la conscience très nette de sa supériorité de classe. Les petits domestiques, les « drolles » comme on les appelait, étaient calottés d’une main leste et énergique, spécialement si elle était surprise, par mégarde, par l’un d’eux dans son tub, ce dont sa pudeur ne s’effarouchait pas. Le dimanche, l’un d’eux faisait office de groom, et portait gravement le paroissien de sa maîtresse à quelques pas derrière elle, lorsqu’elle se rendait à la messe. Les femmes de chambre étaient constamment appelées, houspillées car, suivant les usages de l’époque, elle se faisait coiffer par elles ; et elle n’avait jamais passé les bas sans leur aide. Elle avait parfois fort à faire pour essayer de les éduquer et de les policer, témoin l’anecdote suivante bien connue dans la famille et qui est assez plaisante à raconter. Une des servantes, qui ne brillait ni par l’intelligence, ni par les usages, vint la trouver un jour pour lui annoncer la visite de la domestique du maître d’affaires : « Madame, lui dit elle, c’est Mademoiselle Anna. Quelle est cette Mademoiselle Anna, questionna brusquement Aminthe ? C’est celle de chez Faucou, répliqua la servante. Comment, s’écria Aminthe vivement contrariée, vous traitez de Mademoiselle la fille d’un domestique ? Dites Anna tout court ». Mais le soir, arriva une véritable visite, celle de notre chère tante de Monpezat. La même servante, qui ne s’attachait qu’à la lettre des observations qu’elle venait de recevoir, annonça : « Madame, c’est Anna. Quelle Anna, répliqua à nouveau Aminthe ? Anna de Monpezat. Comment ! ma fille, vous osez appeler ainsi Mademoiselle Laurens par son seul prénom ? Vous êtes une insolente de ravaler ainsi les membres de la famille au rang de nos serviteurs ! ». L’histoire ne dit pas si, à la suite de cette regrettable incompréhension, la soubrette fut liquidée. Il n’en demeure pas moins que, malgré certaines vivacités de leurs caractères, les maîtres de cette maison savaient se faire aimer de leurs serviteurs tout en se faisant respecter. Les serviteurs étaient nombreux dans la grande cuisine ; le soir, des voisins venaient se joindre à eux pour raconter des histoires du village et jouer à des petits jeux. Quelquefois Aminthe faisait rouler le piano au fond de la salle à manger et jouait polkas et quadrilles pour faire danser son personnel.

Paul et Aminthe savaient aussi diriger leur maison et veiller à sa bonne organisation. Personne ne reçut jamais mieux chez elle que tante Aminthe. Les repas de famille aux grandes vacances, la réception de la Sainte Luce et les détails donnés par Marguerite Lemée, en sont la preuve évidente. Paul Moulonguet, que j’ai cité presque intégralement dans les pages qui précèdent va, en effet, céder maintenant la parole à sa cousine, qui va évoquer, à son tour, l’activité de sa grand-mère au cours des grandes vacances.

Dès 5 heures du matin, Aminthe sortait de sa chambre, et on entendait ses pantoufles à talons marteler le corridor. Elle allait réveiller son personnel ; le bouvier pour qu’il fasse boire les bœufs, la cuisinière qui devait cuire le pain au four. Quand les enfants descendaient à la cuisine vers huit heures, elle y était installée, coiffée d’un coquet bonnet blanc à garniture tuyautée et dont les brides encadraient sa figure. Assise près de la table, elle préparait le café, opération compliquée dont elle ne laissait le soin à personne. Sur la table, il y avait le grand filtre et plusieurs cafetières de porcelaine destinées à recevoir, soit le café des petits déjeuners du matin, soit celui de midi, soit « la repasse » destinée aux domestiques. Elle allait, ensuite, ouvrir le poulailler, comptait les poules et ramassait les œufs.

Ensuite elle allait visiter le pigeonnier, choisissant les pigeons destinés à être mangés ; et enfin, vers 10 heures, ayant accompli tous les devoirs de sa charge, elle montait dans sa chambre et sonnait sa femme de chambre qui la coiffait, l’habillait et la chaussait ; elle descendait ensuite au salon, s’asseyait devant son métier à tapisserie et n’en bougeait guère de la journée. C’est de ce poste d’observation qu’elle surveillait ses domestiques, le passage sur la route des voitures et des piétons, les colloques autour du puits où toutes les femmes du quartier venaient chercher leur eau potable. Aminthe était très fière de son puits ; l’eau y était pure et fraîche, même pendant les étés les plus secs.

Nous avons déjà dit combien Paul et Aminthe étaient hospitaliers et aimaient à recevoir ; l’été et les vacances qui amenaient chez eux enfants et petits-enfants donnaient lieu à des repas dont Aminthe surveillait spécialement les menus. Les petits-enfants se souviennent avec reconnaissance de certains plats qui faisaient leurs délices : les pigeons à la crapaudine, les œufs à l’oseille et une croûte sucrée qui contenait une si bonne sauce. Les légumes n’avaient pas toujours le même succès auprès de son mari qui traitait dédaigneusement de « minja de pouloys » (manger de dindons), un plat d’épinards au lait et au sucre.

Aminthe aimait garder ses convives pour le dîner et la soirée. Une galantine de volaille était toujours prête, et puis on dansait. Elle se mettait au piano et jouait polkas et mazurkas. Elle aimait chanter dans sa jeunesse ; elle avait des recueils de romances ; elle chantait notamment : « Ah ! n’allez pas sur le rivage quand la mer envahit ses bords ! » ou : « Léona, folle de douleur ! ». Elle y obtenait souvent des triomphes, assurait sa fille Elisabeth.

Paul et Aminthe eurent six enfants en comptant deux jumeaux décédés en bas âge, l’aîné, Charles, naquit à Moncaup en 1851 et y décéda, célibataire en 1885 ; le second fut Henri né en 1856, décédé en 1912 ; puis vint Albert (1859-1940) et Elisabeth (1861-1936). (tableau généalogique n° 7)

Paul Moulonguet décéda à Moncaup le 3 juin 1895, et sa femme lui survécut jusqu’en juillet 1908.

D’après les souvenirs de Paul Moulonguet, ce fut peu après le décès de son grand-père que la maison du Bouscassé fut considérablement transformée. La salle à manger fut agrandie ; une chambre au rez-de-chaussée devint le vestibule actuel. Au premier étage une sorte de grenier appelé « balet », fut transformé en chambre, et on en créa d’autres au 2ème étage.