Henri  et  Louise

  Charles (1851-1885)  
     
  Henri (1856-1912) Paul
  Louise Darigol (1861-1946) André
     
    Pierre
Paul (1814-1895) Albert (1859-1940) Jacques
Aminthe Claverie Adèle Herbet (1869-1942) Elisabeth
        (1827-1907)   Albert
     
  Elisabeth M. (1861-1936) Marguerite
  Georges M. (1851-1933) Jeanne
    Henri

HENRI et LOUISE

 

André Moulonguet écrit (dans les années 68):

Né à Moncaup, Henri fit de brillantes études au lycée de Tarbes. Il disputait les prix au fameux Laurent Tailhède qui plus tard ,lors de l’attentat de l’anarchiste Vaillant, s’écria à la Chambre : “ Qu’importe la mort de vagues humanités, si le geste était beau ! ”, et qui fut lui-même grièvement blessé quelques jours plus tard lors de l’attentat du restaurant Foyot (1894).

 

Il fait ses études de droit à Paris, et achète en 1885 une étude d’avoué à Pau. Il s’installe 11, rue des Cultivateurs, devenue rue Carnot. Sa grand-mère Claverie vivait encore et fut déçue de le voir adopter ce métier. Elle lui disait : “ Tu fais ce que tu veux, mais je ne t’aurais pas reçu, autrefois dans mon salon… ” Henri retrouva à Pau son cousin Ernest Lamarque d’Arrouzat, receveur des contributions, garçon charmant mais incapable d’arriver à l’heure à son bureau avant 11 heures. Prévenu  de l’arrivée d’un inspecteur national, il arrivait en grand deuil : “ Monsieur l’inspecteur, j’accompagnais à sa dernière demeure un ami qui m’était cher, je m’excuse de mon retard ”. Il paraît que ce truc lui servit plusieurs fois…

 

Ernest était marié avec une basquaise, Mlle Barnetche, qui connaissait beaucoup de monde à Bayonne.

 

François Moulonguet (oct 98) :

Ernest aurait conseillé à son cousin : « Epouse une basquaise, on peut les laisser à la maison ! »

 

André M (suite) :

C’est elle qui eut l’idée de marier mon père avec une jeune fille de Bayonne, Louise Darrigol, dont le père Augustin, mort très jeune, avait fait une certaine fortune comme commissionnaire. Il est probable, qu’étant donné les habitudes du pays Basque, les voies légales n’étaient pas les seules suivies pour le passage des marchandises de l’autre côté de la frontière. Emilie Lamarque d’Arrouzat prit donc rendez-vous pour Henri chez Pascaline Darrigol, la mère de Louise. Henri et Louise passèrent l’après-midi ensemble dans le salon, et le soir après le départ d’Henri, Louise demanda à sa mère : “ Qu’est-ce que tu en penses ? Que faut-il que je fasse ? ” - “ Ce garçon est très bien, il faut que tu le prennes. ” Et voilà comment fut décidé le mariage de mes parents.

 

Bien que ma mère fût d’une intelligence exceptionnelle, elle était à 25 ans une vraie “ oie blanche ”. En 1886, on n’avait pas encore inventé les complexes, et mariés le 27 avril 1886, mes parents ont réalisé un ménage parfait, s’adorant à tel point que je n’ai jamais entendu une discussion désagréable entre eux. Ma mère avait une dot de 130 000 francs, ce qui était normal dans les milieux bourgeois de cette époque, où l’on souriait des dots de 25 000 francs nécessaires pour épouser un officier, ce qui correspond à 10 millions de nos anciens francs en 1968. Il n’y a pas, de nos jours, beaucoup de jeunes filles apportant en dot 10 millions d’anciens francs, ce qui montre bien la ruine de la bourgeoisie française au cours de ma génération.

 

Peu de mois après son mariage, ma mère fit une fausse couche. Mais les symptômes de grossesse continuèrent, et, inquiets, mes parents vinrent à Paris consulter le Pr Ribement Dessaigne, qui déclara : “ Madame, vous aviez une grossesse gémellaire, et le second enfant se développe bien, mais il existe à côté une tumeur certainement bénigne dont il faudra se débarrasser un jour ”, et il prescrivit différentes pommades qu’on appliqua consciencieusement sur le ventre de notre mère jusqu’au 9 janvier 1887 où, à 8 heures du matin, mon frère Paul vit le jour, et une demi-heure après, je venais au monde …Mes parents avaient déjà une excellente cuisinière, la fameuse Eléonore, et une bonne ; il engagèrent aussitôt deux nourrices, car à cette époque les questions ancillaires étaient faciles à résoudre.

 

Mon père était un homme intelligent et bon, toujours courtois et d’une haute conscience professionnelle, aussi son étude d’avoué prospéra rapidement. Mais il n’aimait pas son métier. Il était sujet à des crises de dépression nerveuse qualifiées à cette époque de neurasthénie, qui duraient 2 ou 3 semaines et revenaient cycliquement 3 ou 4 fois par an. Ayant fait en 14 ans assez d’économies pour devenir rentier, il vendit son étude à M. Gaussel de Tartas. Dès lors, il fut un homme parfaitement heureux.

 

A cette époque où la culture physique était tout à fait décriée, la famille de Moncaup était très sportive : on pratiquait la course, le saut, la lutte gréco-romaine, le lancement des poids et le jeu de 9 quilles. Henri mesurait 1m74 , très musclé, il avait été un excellent haltérophile et gardait une certaine fierté d’avoir terminé sa carrière d’officier de réserve comme capitaine de chasseur à pied. Il était également bon escrimeur . Il avait une passion pour les chevaux, non pas qu’il fût un grand cavalier, mais il aimait les conduire en attelage, par exemple la victoria de Moncaup avec Hirondelle et Lisette. Lorsque notre grand-mère Darrigol nous donna la Grégoire, il déclara : “ C’est très joli, mais qu’est ce que nous aurions pu avoir pour ce prix comme équipage ! ” La Grégoire, Torpédo à 4 places, sans démarreur, sans éclairage électrique, coûtait en 1912 8000 francs, soit 3 millions de nos anciens francs.

Il s’intéressait beaucoup à Moncaup et c’est lui qui organisa l’agrandissement du Bouscassé et replanta la vigne détruite par le phylloxera. Il était républicain libéral, mais ne voulut jamais faire de politique à Moncaup.

 

C’était un père très tendre, et je ne reçus qu’une gifle de lui, à l’âge de 6 ans, que j’avais bien méritée.

Une de ses grandes joies fut de me voir accéder à l’internat des Hôpitaux de Paris.

 

Au printemps 1912, il se plaignit de ganglions dans les aisselles et dans les aines. Dans les premiers jours de septembre, la température se mit à monter progressivement sans aucune localisation pulmonaire ni intestinale, et le 30 septembre mon père s’éteignit sans qu’on ait fait de diagnostic. Rétrospectivement, me souvenant qu’il se plaignait de prurit, je pense qu’il s’agissait d’une maladie de Hodgkin, maladie alors inconnue.

 

Ma mère était une femme remarquable aux réparties vives et spirituelles souvent mordantes, épouse et mère parfaite, aidant son mari dans son travail, lui remontant le moral dans ses crises de neurasthénie et s’occupant sans arrêt de notre éducation et de nos études. Elle avait la main leste : j’ai reçu ma dernière gifle après mon service militaire à 19 ans, pour un motif futile ; j’ai tellement ri qu’elle jamais plus osé recommencer, mais c’était une mère très tendre.

Elle avait une magnifique voix de contralto et faisait beaucoup de musique ; entendre ses duos avec sa nièce de Vidouze Louise Moulonguet Ancely était un vrai plaisir ; elle perdit sa voix après une laryngite aiguë grave pendant une rubéole contractée en nous soignant.

 

François M. (oct 98) :

Installée à Moncaup pour la tuberculose de Paul en 1909, elle faisait beaucoup de musique, elle au piano, lui au violon. Elle fredonnait volontiers, même âgée, des airs d’opérette.

 

André M (suite) :

Elle était petite mais bien faite, avec de jolies jambes et une physionomie pleine d’intelligence. Elle recevait très bien et son salon du mercredi était très fréquenté à Pau.

Après mon mariage le 2 septembre 1919, elle quitta l’appartement du 6 rue Marbeuf à Paris et vint s’installer dans sa maison de Bayonne avec mon frère. Elle conserva sa belle intelligence jusqu’à sa mort à 87 ans le 26 janvier 1946.

 

Roger Brouquère parle (hiver 97-98):

Madame Henri  venait ouvrir le Bouscassé en juillet, et restait après septembre, pour surveiller les vendanges. Elle était la maîtresse de maison du Bouscassé.

Monsieur et madame Henri étaient les heureux propriétaires d’une des premières automobiles. Cet engin était appelé “ la nef ”, peut-être à cause de son allure de semi vaisseau spatial. La nef se conduisait d’ailleurs avec une barre, mélange de gouvernail et de manche à balai. Un seul conducteur suffisait à peine pour maîtriser l’engin : lorsque Henri voulait tourner d’un quart de tour pour rentrer au Bouscassé, il devait passer le manche à Louise pour qu’elle continue le braquage…

 

François Moulonguet (été 98) :

LE SANG DARRIGOL

Une donnée de base chez nous était que le sens de l’économie, à la limite de l’avarice, de notre famille venait de notre sang Darrigol.

Or il y a quelques années, j'avais eu l'occasion de voir de la famille du nord qui avait également de ce sang Darrigol. Et chez eux, le sang Darrigol, c'est toute la fantaisie du midi !

 

Ma grand-mère était une femme très organisée, elle établissait son budget avec les rubriques nourriture, vêtements, vacances, cadeaux, œuvres, était contente d’économiser sur les budgets nourriture ou vêtements pour virer aux chapitres œuvres ou cadeaux ; elle donnait une chance à la chance en prenant des dixièmes de billet de la loterie nationale ; il lui est arrivé de gagner et d’installer une salle de bain chez elle.

Très prudente dans ses placements, elle faisait ses comptes tous les jours avec sa cuisinière. Cela devait être atavique parce que la mère de notre grand-mère, avait elle aussi la réputation d’être une maîtresse femme, elle avait été veuve assez jeune, et elle a fort bien géré sa situation. Il paraît qu’elle était avare et en même temps très généreuse. C’est elle qui avait offert une voiture, la fameuse Grégoire, qu’oncle André chiffre à 3 millions d’anciens francs. Comme cadeau de vieille dame à ses petits-enfants, c’est quand même formidable ! Et quand papa avait été tuberculeux, c’était un drame, ça a duré un certain temps, et puis il a fini par sortir de cette maladie. Et bien que très avaricieuse dans son quotidien, elle a offert à papa et à sa mère un voyage en Italie qui a duré 3 ou 4 mois !

Bonne Maman (Louise Moulonguet) demandait aussi des comptes à ses fils déjà étudiants. Pour que les comptes tombent justes, oncle André utilisait une dernière écriture : « chaises à l’église » qui le dispensait de perfection comptable.

Elle est toujours restée très proche de ses fils jumeaux, « mes bijoux », disait-elle. Avec André en temps normal ou avec Paul quand elle n’était plus auprès de lui, les échanges de correspondance se faisaient à la cadence de trois par semaine.

Après s’être inquiétée pour ses fils, leur santé, leurs études, leur avenir, elle s’est inquiétée pour ses six petits-enfants, attachant beaucoup d’importance à leur santé, à leur scolarité, épargnant sur ses revenus pour constituer à chacun un petit portefeuille de valeurs, tricotant des chandails, priant beaucoup, demandant que l’on prie pour elle en la nommant spécialement. Elle s’intéressait à tout, lisait, écoutait de la musique.

A Bayonne, elle habitait avec la sombre et fidèle Eléonore dans l’appartement au dessus de celui de Paul et Marie-Thérèse. Le samedi, il fallait lui rendre compte des résultats scolaires, provoquant satisfaction ou inquiétude. Les grandes joies étaient familiales ; elle maintenait des relations étroites avec tous les Moulonguet comme avec sa propre famille. A Moncaup elle était maîtresse de maison au Bouscassé, s’y prolongeant après les grandes vacances pour veiller à la rentrée des récoltes.

Sa piété religieuse était vive et faisait partie de l’organisation de son temps. Tous les jours de semaine, messe des chanoines à la cathédrale, le dimanche grand-messe, carêmes, chapelets, mois de dévotion, plusieurs visites par semaine au cimetière de Bayonne où étaient regroupés ses parents, son mari, sa sœur et son beau-frère Julien.