Elisabeth et Jean


Pierre (1890-1981) Annette Doléris (†1943)

Claude

                                  Madeleine Roulot (1924)
Gilles
 
Françis
     
  Jacques (1891-1979) Albert
  &  Jane Huré (1901-1986) Nicole

   
Albert (1859-1940)
  Paul
Adèle Herbet (†1942)   Jacques
    Philippe
  Elisabeth (1893-1990) Yves
   Jean Decaudaveine (1890-1977) Jean-Pierre
    Anne
    André
     Antoine
  Albert (1897-1917)  

André Moulonguet écrit (dans les années 68) :

Fille d’Albert Moulonguet, elle naquit à Amiens. Etant enfant, elle adorait ses vacances passées à Moncaup puis à Monpezat et suivait ses grands cousins dans leurs expéditions les plus risquées : grande et mince, infatigable, elle avait bien gagné son surnom de “ fil de fer ”.

 

En 1919, elle épousa Jean Decaudaveine, un glorieux combattant, comme fantassin,  de la guerre de 1914, notaire à Amiens, avec qui elle réalisa un ménage parfait. Jean était comme mon frère Paul le type du notaire d’autrefois, d’une honnêteté scrupuleuse, faisant toujours passer l’intérêt de son client avant le sien et le conseillant intelligemment pour le défendre contre le fisc vorace.

 

De ce ménage naquirent 8 enfants : Paul, Jacques, Philippe, Yves, Jean-Pierre, Anne, André et Antoine, soit 7 garçons et une fille. Un seul ne fit pas souche : Jean-Pierre, superbe garçon né en 1928, qui faisait son droit[1] et que je soignai en 1952 pour une amygdalite chronique en lui conseillant une amygdalectomie totale au printemps prochain…Faisant son service militaire l’année suivante, il temporisa, et en octobre 1953, fit une nouvelle angine phlegmoneuse, compliquée de néphrite aiguë grave, et il décéda en 1954 de cette complication rénale.

 

Jean et Lili s’étaient mariés quelques semaines avant Aline et moi et au cours de notre voyage de noce dans les Pyrénées en 1919, nous les avions rencontrés à Gavarnie. Rapidement enceinte, Lili accoucha en 1920 d’un enfant atteint de spina bifida, qui mourut au bout de quelques jours, ce qui ne l’empêcha pas, ensuite, de créer une belle famille de huit enfants bien réussis.

 

Lili, toujours attachée au “ pays ”, continuait à venir fidèlement chez ses parents à Monpezat. Jean s’y plaisait moins, attiré par les chasses de Picardie début septembre, car il a toujours été un grand chasseur. A la mort d’oncle Albert, ce fut Lili qui hérita de la propriété de Monpezat. Jean légua son étude de notaire à son fils Philippe.

 

Anne Balédent parle (février 99) :

Maman était la petite gâtée de son père. Parce qu’elle était la fille. Elle était reine parmi les garçons.

 

Philippe Decaudaveine parle (février 99) :

Par exemple, elle conduisait l’auto de son père à 17 ans !

 

Anne Balédent parle (février 99) :

On avait fait un essai pour l’envoyer à l’école, chez « ces dames du Sacré Cœur ». Elle racontait que le cocher qui la conduisait, car grand-père avait un attelage avec un cocher, tirait la sonnette de l’école  avec son fouet ! Elle faisait le geste du cocher lançant son fouet, tirant la sonnette sans descendre de sa voiture ! Elle y est restée très peu de temps, et après, elle a eu des institutrices à la maison. Elle disait toujours qu’à l’occasion d’une crèche de Noël, où elle était un des personnages, et était légèrement vêtue, elle avait pris froid, alors son père avait dit que l’école, c’était terminé.

Elle était énergique : elle a fait beaucoup de gymnastique. Elle allait dans les salles de gymnastique de ses frères.

Sinon, elle a eu une éducation de jeune fille de bonne famille : elle brodait, elle lisait, elle dessinait… tous les arts d’agrément.

 

 

LA RENCONTRE DE LILI ET DE JEAN

Anne Balédent parle (février 99) :

Maman et Papa ne se sont pas rencontrés par présentation. Maman était assez gâtée pour faire ce qu’elle voulait.

 

Philippe Decaudaveine parle (février 99) :

Les familles Decaudaveine et Moulonguet se connaissaient. Donc papa et maman se connaissaient comme ça, sans plus. Après la guerre, mon père a fait un stage chez Me Depas qui habitait la maison voisine de celle mon grand père Moulonguet. Entre les deux maisons il y avait un mur, dans le fond, qui séparait la courette Moulonguet du jardin Depas. Or  une bombe était tombée sur ce mur, et l’avait désintégré ! Je ne sais comment, mes parents ont fait plus ample connaissance, et c’est comme ça qu’ils sont devenus fiancés et qu’ils se sont mariés.

 

 

LES ENFANTS

Anne Balédent parle (février 99) :

Maman aimait beaucoup les enfants. Et papa aussi. Je crois que papa souffrait de la disparition de toute sa famille pendant la guerre de 14-18, tous ces enfants étaient une revanche sur l’existence, sur la vie, sur la guerre. Mais il était comme l’oncle Pierre, il ne parlait jamais de sa guerre.

 

Philippe Decaudaveine parle (février 99) :

Toute sa guerre se résumait à quelques anecdotes. Et pourtant il a fait la guerre dans les chasseurs à pied, et le bataillon dans lequel il était a été le bataillon le plus éprouvé de toute l’armée française.

 

Anne Balédent parle :

Maman et Papa ont eu 24 petits-enfants, ils ont vraiment accordé le même amour au premier des petits enfants qu’aux derniers, ceux de mon frère Antoine. Et tous ses petits-enfants peuvent le dire, elle était vraiment très proche, très familière, s’intéressant beaucoup à eux, extraordinaire !

 

Philippe Decaudaveine parle (février 99) :

Elle adorait ses petits-enfants. Elle avait emmené une quinzaine, les plus âgés, pendant quatre jours à Jersey.

 

Mathilde de Cheffontaines (née Decaudaveine) parle ( mai 99) :

Je connaissais très bien mère-grand : à quatre ans, j’ai eu une néphrite, et comme elle avait perdu son fils Jean-Pierre dix ans auparavant de la même maladie, elle a voulu absolument que je sois soignée à Amiens, par le Pr Legrain. Voilà pourquoi j’ai passé un an chez elle. Je trônais la journée dans son grand lit, avec mes poupées, et je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie. Cela a créé des liens très forts. J’ai longtemps été appelée à Amiens la « petite miraculée ».

Mère-grand était un peu iconoclaste et pas du tout « province ». Son rêve, c’était d’aller à Paris. Elle m’a toujours dit qu’elle reprochait à son mari de ne pas l’avoir emmenée plus souvent à Paris. Lui, n’aimait que la chasse, aller à la hutte. Il aimait la baie de Somme, Amiens… Peu après la mort de grand-père, elle a organisé une virée à Paris, pour aller voir ses petits enfants. Elle est arrivée tôt le matin gare du Nord. Nous étions une dizaine à l’attendre en mobylette et en voiture, pour lui faire faire la tournée de ses petits-enfants parisiens. Nous l’avions invitée à petit déjeuner, à prendre l’apéritif. Nous avons déjeuné dans un bon restaurant de poissons place Pereire. Elle a fait la « tournée des grands Ducs », passant d’appartements assez corrects à des chambres de service au sixième étage sans ascenseur…

Lorsque j’ai passé trois ans aux Etats-Unis, elle m’a écrit toutes les semaines, j’ai donc une abondante correspondance d’elle. Elle était très proche de moi.

Plus tard, à Paris, elle m’appelait le matin, à 7 heures, avant que je parte travailler, et elle me disait :

-       « Bon, alors Mathilde, j’ai réfléchi, écoute il faut que tu te maries, bon, épouse euh…  épouse n’importe qui, moi je n’en peux plus d’attendre, je n’en peux plus ! ! »

Là, c’était quand elle était très en colère. (Dans ces cas là, elle accrochait mon portrait la tête en bas dans sa chambre.) Mais le lendemain, elle me rappelait :

-       «  Je t’ai dit une bêtise : mieux vaut aller seule que mal accompagnée, oublie ce que je t’ai dit ! »

C’étaient comme ça, des joutes… Elle avait juré de ne pas mourir avant que je sois mariée… Si elle a vécu jusque 97 ans, c’est peut-être en partie grâce à moi !

J’ai rencontré mon mari un an après son décès.

 

 

ENERGIE

 

« MENS SANA IN CORPORE SANO »

Philippe Decaudaveine parle (février 99) :

Maman était une personne fort énergique. Mes parents avaient une propriété près d’Amiens, le château de Rumilly, qui avait été un peu abandonnée. Et maman nous a fait travailler à la remise en état du parc. Ça nous occupait. Il fallait défricher, couper des ronces, rouler les fils de fer, faire des feux, etc. Elle nous occupait énormément à tout cela. Il n’y avait pas de game boy ou je ne sais quoi à l’époque, il fallait occuper avec des devoirs de vacances, et Dieu sait si c’était gai, mais aussi des travaux à la maison. Et l’été, quand arrivait l’époque des récoltes, elle nous envoyait aider les cultivateurs. Ça relevait toujours de l’idée de son père, ou de la génération au dessus : « Il faut occuper les jeunes, pas de désœuvrement. »

 

Magui parle (printemps 98) :

Tante Lili était Gaulliste. Le jour où il avait fallu voter pour de Gaulle, elle qui ne m’avait jamais écrit, l’avait fait pour me dire de voter pour de Gaulle ! Elle m’avait ordonné de voter pour de Gaulle. Moi, je n’ai pas voté pour lui, ça, c’était fatal !

 

François Moulonguet parle (été 98):

Tante Lili a pu être pour De Gaulle à un certain moment. Et quand elle sentait que c'était un devoir de voter d'une certaine manière, ou de faire une certaine chose, tante Lili était une femme de rigueur dans ses devoirs. Elle n'hésitait pas à prendre la plume et dire à untel : "Il faut absolument que tu fasses ceci". Elle voyait le bien et le mal de façon très nette. Elle n'hésitait pas à prendre en charge moralement des situations qui n'étaient pas normalement de son ressort. Mais elle les prenait en charge, elle se souciait pour les autres, elle était tout à fait de devoir.

 

LE DEPART D'AMIENS EN 1940

Tante Lili s'est retrouvée chef de famille en 1940. Son père venait de mourir, sa mère était malade ici, Paul était étudiant à Grenoble, et oncle Jean était mobilisé. La débâcle arrive : que faire ? Pour elle, il fallait partir vers le midi, il y avait toujours Monpezat. Elle décide : "Bon, il faut être sérieux, Jacques doit passer son bac, voyons si on peut le prendre à Bayonne, les autres, je les emmène à Monpezat. Pour la voiture, avec sept enfants, on ne peut pas emporter grand chose". Alors elle a pris ses bijoux, l'argenterie, et un ou deux vieux livres sur la cathédrale d'Amiens, pour que si la cathédrale était démolie, ça puisse aider à la reconstruire ! Je trouve ça magnifique !

Tante Lili, qui était un chef de famille remarquable...

 

Jean :

Un peu autoritaire...

 

Francis :

Elle avait l'autorité innée...

 

François :

On accuse sa mère, notre tante Adèle, d'être un peu avare, sur la nourriture, sur toutes sortes de choses. Il paraît que tante Lili, qui avait vécu dans cette ambiance, avait tendance, au début de son mariage, à restreindre sur tout. Et oncle Jean avait mis le holà, il voulait quand même bien vivre, et il avait obligé tante Lili à changer ses habitudes.

 

Francis :

Oui, tante Lili, elle servait des tomates farcies passées, et avec ça elle se ruinait à chaque Noël pour tous ses petits-enfants.

 

MONPEZAT

Nicole Denoix parle (nov. 98) :

Tante Lili ne venait jamais en vacances à Monpezat. Oncle Jean et tante Lili avaient une maison de campagne aux environs d’Amiens. Sauf au moment de l’exode où ils ont débarqués tous.

Oncle Jean n’aimait pas tellement Monpezat, il était très Picard, aimait chasser. A Monpezat, il trouvait que grand mère ne lui faisait pas assez à manger… Mais elle a fait de ses enfants des hommes solides, parce qu’ils ont vécu jusqu’à 90 ans presque tous ! Et elle les élevait énergiquement. Il y avait à Amiens une baignoire en cuivre d’autrefois, grand-papa disait que lorsqu’ils étaient petits, tous les matins, grand-mère les douchait à l’eau glacée dans cette baignoire ! Et papa, jusqu’à ses derniers jours, il a pris une douche glacée, dans la baignoire, avec un broc, car il avait horreur d’autre chose, à l’eau froide. Jamais il n’utilisait d’eau chaude. Ils étaient élevés à la dure.

 

Philippe Decaudaveine parle (février 99) :

Nicole dit que nous ne venions pas à Monpezat, ce n’est pas vrai du tout. On y allait en vacances tous les ans avant la guerre. Au début à Moncaup puisqu’il y avait cohabitation entre Henri et Albert au Bouscassé, « les deux bouts de table, etc. », et puis après on a été à Monpezat tous les ans. Seulement il y avait une chose, c’est que papa chassait, et pour lui, l’ouverture, le premier dimanche de septembre, c’était sacré. Alors il fallait absolument qu’il soit revenu en Picardie à cette date là. Or à l’époque, la fameuse « saison des Moulonguet » était plutôt pendant la première quinzaine de septembre. Donc à cette fameuse saison, papa était parti, il en laissait quelques uns derrière lui, avec maman, et nous rentrions un peu plus tard.

 

Anne Balédent parle (février 99) :

L’idée fixe de maman était : « On ne doit pas acheter de maison de vacances en Picardie, parce qu’on a Monpezat ». Donc on louait des maisons, pour neuf ans, mais on n’achetait pas.

 

Philippe Decaudaveine parle (février 99) :

Mon père, lui, se désolait parce que lui n’aimait pas tellement Monpezat, il ne détestait pas, mais il n’y avait pas de souvenirs d’enfance. Lui ne rêvait  que d’une propriété au bord de la mer à Saint-Valery, où il aurait pu aller chasser le canard à la hutte… c’était son rêve. Il n’a jamais pu le réaliser.


« Mère-grand », vue par les enfants de Anne et Philippe Balédent

-       grand-mère de rêve, toujours disponible pour ses petits enfants,

-       gaie, optimiste, enthousiaste,

-       intrépide : descendant du train en marche,

-       faisant de grands feux à Monpezat, tenant par le fond de culotte Edouard qui taille une haie,

-       accompagnant Mathilde dans une frêle périssoire en baie d’Etretat,

-       sachant être autoritaire (à genoux pour les dévotions) sans faire la morale,

-       indifférente :

-       à l’argent,

-       au « qu’en dira-t-on »,

-       à l’intellectualisme

-       au goût artistique,

-       à la bonne chère (nulle en cuisine),

-       dévote et injuste, partisane,

-       formant avec grand-père un couple équilibré,

-       fondamentalement attachée à la famille.

 

Mère-grand cultivait les bons mots et les aphorismes :

-       « Les enfants sont élevés à 6 mois. Ils s’élèvent dans l’herbe comme les petits cochons. »,

-       (parlant des jeunes filles à ses petits-fils) « mon petit chéri, méfie-toi de cette engeance »,

-       « les fiançailles sont faites pour être rompues »,

-       « un homme n’est jamais beau »,

-       « elle s’habille les genoux plus haut que les cuisses »,

-       « ce n’est ni de son âge, ni de sa condition »,

-       « je l’aime en Jésus Christ » (lorsqu’elle détestait quelqu’un).



[1]  Anne Balédent écrit (juin 1999) : Jean-Pierre ne faisait pas droit, était étudiant à l’ESSEC, première promotion, ce dont mes parents étaient fiers.