QUELQUES IMAGES DE LA SOCIETE FRANCAISE AU DEBUT DU XX° SIECLE

 

 

« Cette foule qui grouille sur les boulevards révèle facilement ses composantes : bourgeois revêtus de redingote ou de jaquette et coiffés d’un tube, ouvriers habillés d’une simple blouse, dames élégantes embarrassées de vastes chapeaux, de voilettes, de boas, de manchons, femmes du peuple pauvrement mises. Elle exhibe aussi sa diversité politique : favoris à côtelettes pour les radicaux, moustaches impériales pour les bonapartistes, barbe en broussaille pour les républicains. Le monocle est de droite, le binocle est de gauche. »

                                                                            C’était la France, de Vincent Brugère-Trélat

 

 

 

Extraits de L’enracinement de la République, 1879-1918, de Jean Leduc

1 . LA FRANCE ET LES FRANÇAIS EN 1879

 

38 MILLIONS DE FRANÇAIS :

Dans les limites qui résultent du traité de Francfort, le territoire français compte :

36 906 000 habitants au recensement de 1876

37 672 000 habitants au recensement de 1881. (…) 

L’extrême lenteur de la croissance démographique française résulte d’un double phénomène : une fécondité insuffisante et une mortalité élevée.(…) 

Si la mort frappe durement les jeunes enfants, la situation sanitaire de l’ensemble de la population est inquiétante…

L’hygiène laisse à désirer. (…) Le mauvais état sanitaire de la population est largement lié au problème de l’eau : le « tout-au-caniveau » et la consommation d’eaux polluées restent très répandus. On ne se lave couramment que le visage et les mains. Dans les internats, le règlement n’oblige à se laver les pieds qu’une fois par semaine et le corps tout entier qu’une fois par mois. On dort en vêtements de jour et on ne lave la literie qu’exceptionnellement. La saleté, et même les parasites, passent pour préserver des maladies.

 

UNE MAJORITE DE PAYSANS

Les hommes dont le travail agricole est l’activité dominante sont un peu plus de 7 millions, soit, sans doute, environ la moitié du nombre des actifs. (…)

On est loin, socialement, d’une démocratie agraire ; on en est d’autant plus loin que les statistiques révèlent aussi la prédominance des exploitations de petite taille. D’après l’enquête agricole de 1882, les exploitations inférieures à un hectare sont au nombre de 2 millions. Si on ne tient compte que de celles qui dépassent cette superficie, la répartition est la suivante :

-de 1 à 10 ha : 2,6 millions d’exploitations représentant 23 % de la superficie,

-de 10 à 40 ha : environ 700 000 exploitations représentant 30% de la superficie,

-142 000 exploitations dépassent 40 ha  et couvrent 45% de la superficie.

On comprend mieux, dès lors, la nécessité, pour un grand nombre de familles paysannes, de diversifier leurs revenus et de trouver des activités complémentaires.

Les migrations temporaires sont très répandues. Elles peuvent être saisonnières et de courte durée : paysans de l’arrière-pays languedocien embauchés pour les vendanges dans le bas-pays, gens du Perche allant moissonner en Beauce ou agriculteurs qui, à la morte-saison, se font colporteurs, ramoneurs, scieurs de long, charbonniers…(…)

 

A LA RECHERCHE DE LA BOURGEOISIE

(…) La bourgeoisie française se définit d’abord par ses ressources. C’est par leur richesse que les bourgeois exercent diverses formes de pouvoir et affirment leur « distinction », bref qu’ils sont en position dominante. La majorité sont des actifs. Les uns font valoir, par leur travail, un capital hérité ou acquis, tels les chefs d’entreprise (industriels, négociants, banquiers…) ou les membres des professions libérales (notaires, avoués, médecins…). D’autres – et c’est un groupe en expansion numérique – sont ce qu’on appellerait de nos jours, des « cadres supérieurs » salariés, travaillant dans le secteur public et privé : tels sont les hauts fonctionnaires ou les ingénieurs. Que les bourgeois soient salariés ou non, les revenus qu’ils tirent de leur activité professionnelle ne constituent qu’une partie de leurs ressources. Une autre partie provient de divers placements. La bourgeoisie se caractérise, en effet, par la possession d’un patrimoine important et diversifié.

 

LA DIVERSITE CULTURELLE

La mosaïque France(…)

Le système métrique est loin d’être entré dans les mœurs et on mesure encore constamment en pieds, brasses, aunes et boisseaux. Les prix sont souvent libellés en pistoles, écus ou réaux et, à côté du numéraire légal, circulent les monnaies divisionnaires étrangères.(…)

La diversité des cultures tient aussi à la présence sur le sol français d’un million d’étrangers, soit 2,68% de la population. Depuis 1872, l’excédent migratoire annuel moyen est de 50 000. Il s’agit d’une immigration de proximité. Des voisins de la France viennent s’installer dans les départements limitrophes de leur pays d’origine : les Belges (43% des étrangers résidants en France) habitent, pour les trois quarts, dans les trois départements du Nord, du Pas-de-Calais et des Ardennes. Les Italiens (24%) se trouvent surtout sur le littoral provençal et dans les départements alpins, les Espagnols (8%) dans le sud-ouest. Allemands (8%), Suisses (6,7%), Britanniques (3,7%) sont plus dispersés. 

 

LES CONTRASTES DE L’ECONOMIE

L’aube de la « grande dépression »

L’économie mondiale entre, au cours des années 1870, dans une phase de récession qui se prolonge jusqu’aux années 1890 et sera qualifiée, après coup, de « grande dépression ».(…)

Pour la France, comme pour le reste de l’Europe, une source de difficultés majeures réside dans la concurrence que font, aux paysans du vieux continent, les agriculteurs des « pays neufs ». Ceux-ci profitent de coûts de production inférieurs et de l’abaissement des transports maritimes pour conquérir les marchés européens. A cela s’ajoute une série de catastrophes naturelles, dont la plus spectaculaire est le phylloxéra.

 

L’AFFAIRE DREYFUS (1869-1899)

Une erreur judiciaire, la condamnation, en 1894, pour espionnage au profit de l’Allemagne, du capitaine Alfred Dreyfus, provoque un conflit idéologique majeur. L’affaire éclate en 1898, elle plonge dans le passé, comme un rejet de cette fracture qui, depuis 1789, divise la France et que les républicains modérés n’ont pu effacer. D’un côté les antidreyfusards, appuyés sur des corps constitués comme l’Armée et l’Eglise, prétendent incarner la patrie avec intransigeance, et défendent l’autorité de la chose jugée. Pour eux, Dreyfus est aussi le juif Dreyfus, traître nécessaire et désigné par ses origines mêmes, bouc émissaire symboliquement responsable des malheurs et des frustrations de couches sociales marginalisées par l’évolution économique. Les dreyfusards, au contraire, combattent pour l’innocence d’un homme. Ils se réclament de la justice et du droit. L’Affaire annonce l’avenir. Elle contraint la République à revenir au militantisme de ses origines et signe ainsi la fin des compromis modérés. Elle recompose le paysage politique dont les intellectuels font désormais partie. Elle accélère l’évolution de la droite du conservatisme clérical au nationalisme.

 

2 . LA FRANCE ET LES FRANÇAIS (1880-1918)

 

LE MOUVEMENT NATUREL DE LA POPULATION

La France vieillit. La chute de la natalité, beaucoup plus importante que dans les pays européens comparables, n’est pas compensée par une baisse assez forte de la mortalité malgré l’entrée de la France dans l’ère pastorienne.

[…]

A une Allemagne et une Grande-Bretagne caractérisées par une prédominance du salariat ouvrier, s’oppose une France où la famille reste souvent cellule de production. Cette famille aurait tendance à ajuster sa descendance aux possibilités d’emploi, de revenu et d’épargne que lui offre le patrimoine – le plus souvent modeste – qu’elle contrôle.

[…]

Les méthodes contraceptives se diffusent donc ; la plus employée reste toujours le coït interrompu (le « retrait »), mais l’usage du préservatif se répand, facilité par la substitution, dans les années 1870, du caoutchouc au caecum de mouton. 

 

LES FRANÇAIS ET LEUR SANTE

L’ère pastorienne

[…] L’hygiène commence à pénétrer les modes de vie des Français, qui, progressivement, entrent dans l’« ère pastorienne ».

[…]Dans les années antérieures à 1880 […] , Pasteur et ses élèves ont créé une science nouvelle, la microbiologie. […] Au cours de la décennie 1880, tandis que l’on procède aux premières « vaccinations », et qu’est créé l’institut Pasteur pour produire, en grandes quantités, vaccins et sérums, savants français et étrangers identifient les agents de plusieurs maladies : paludisme, tuberculose, choléra, diphtérie, tétanos et méningite. Puis, les années suivantes, de nouvelles découvertes concernent la peste, la dysenterie, la coqueluche, la syphilis et la typhoïde.

 

Les progrès de l’hygiène ne pouvaient passer que par la « conquête de l’eau » (J.-P. Goubert). Dans les villages, la République apporte le progrès : la fontaine est souvent ornée d’une devise républicaine ou d’un buste de Marianne. La construction des égouts se poursuit : le nombre de maisons parisiennes bénéficiant de ce « tout-à-l’égout » passe de 213 en 1885 à 52 063 en 1913. Autre innovation : de plus en plus de maisons disposent de « toilettes » ou « water-closets », le plus souvent dans la cour ou sur le palier. L’école primaire initie à l’hygiène personnelle. Les instituteurs qui, chaque matin, s’acquittent de la « visite de propreté » multiplient les lectures, les dictées, les sujets de rédaction, répandant le souci de l’hygiène.

 

[…]Mais ce fléau (l’alcoolisme), et la mort elle-même, ne frappent pas également les Français. Au début du XXe siècle en effet, le taux de mortalité des Parisiens varie du simple au double selon qu’ils habitent dans un arrondissement de l’Ouest ou de l’Est. Pour la mortalité par tuberculose, l’écart est de 1 à 5. A Lille, à la même époque, la mortalité infantile atteint 38% dans les « courées » mais n’est que de 4 % rue Royale.

 

 

LA FAMILLE

Le couple

Dans l’aristocratie et la bourgeoisie, le mariage est une affaire arrangée entre les familles des futurs époux selon un rituel mondain soigneusement réglé. La signature d’un contrat et la constitution d’une dot sont de rigueur.

[…]La vie conjugale évolue-t-elle ? Si pour Edward Shorter ( Naissance de la famille moderne, Seuil, 1977), de 1850 à 1914, presque tous les couples « s’érotisèrent », passant d’une « sexualité de procréation » à une « sexualité de récréation », les « basses classes » ayant joué, à cet égard, un rôle pionnier, ce jugement est contesté par Martine Segalen (Histoire de la population française, t.3, PUF, 1988) qui se demande même si la notion de couple a un sens au XIXe siècle. Certes, certains signes témoignent d’une quête de plus d’intimité : ainsi, dans les fermes qu’on réaménage, la chambre conjugale est-elle séparée du reste du logement, comme elle l’était, depuis longtemps, dans les demeures bourgeoises. Un certain nombre de manuels à l’usage des jeunes époux insistent sur l’importance de l’amour physique dans le mariage. Gustave Droz, dans Monsieur, Madame et bébé (1866), souvent réédité, et le docteur Jean Fauconney (Tableau de l’amour conjugal, 1907), conseillent aux maris de se comporter comme des amants.

Peut-on, pourtant, pour reprendre l’interrogation de Martine Segalen, parler de couple quand le mariage est le plus souvent arrangé, quand les rôles dans le ménage restent soigneusement séparés, quand la femme demeure juridiquement une mineure ? Peut-on parler « d’érotisation » quand, pour la plupart de ceux qui en dissertent, le mariage n’a pas vocation à être le lieu du plaisir charnel ? La femme, affirment-ils, est portée – par sa « constitution » - à l’hystérie et, bien loin de se conduire en amant, l’époux doit la protéger contre elle-même et rechercher son propre plaisir dans d’autres lieux que la chambre conjugale.

Ces lieux ne manquent pas. A la fin du XIXe siècle, la « galanterie » évolue. La « maison close » ou « bordel », qui sert à l’initiation des jeunes hommes et aux besoins ordinaires d’une clientèle modeste et le système de la « fille entretenue » par son « bourgeois » ne disparaissent pas. La clientèle aisée fréquente les « maisons de passe » ou de « rendez-vous » , qui pour Alain Corbin (Les filles de noce, Aubier Montaigne, 1978), ne sont plus des « exutoires sexuels » mais des « laboratoires » d’un érotisme raffiné. Pour le peuple, certains cafés ou « hôtels garnis » jouent ce rôle.

 

Les femmes et le travail

En 1906, les femmes constituent 38% de la population active : une proportion plus importante que dans les autres pays industrialisés.

[…]Tout au long du XIXe siècle, la domesticité est en majorité féminine. La domestique reste une figure de la Belle Epoque, de la Françoise de Marcel Proust à la Célestine d’Octave Mirbeau ou à Bécassine. Mais le nombre des femmes employées dans le secteur diminue, tandis que la nature du travail se modifie. Les domesticités nombreuses de grande maison, où chacun a sa spécialité, se raréfient. En revanche, tout ménage « comme il faut » tient à avoir sa « bonne à tout faire ».

 

Des femmes à la conquête de leurs droits

Michèle Perrot qualifie la période 1901-1914 « d’âge d’or » du féminisme, qui n’a d’équivalent que celui des années 1970-1980. L’usage du mot « féminisme » devient, en effet, courant.

[…]Dans les années d’avant-guerre, les féministes françaises portent surtout leurs efforts sur le droit de vote. L’action spectaculaire des suffragettes anglaises et la répression  dont elles font l’objet, en 1906, jouent le rôle de détonateur.

[…]S’ils hésitent ou répugnent à lui donner le droit de vote, les législateurs consentent à « relever » la femme d’un certain nombre d’incapacités. Elle est autorisée à témoigner dans les actes civils et notariés (1897), à plaider (1901), à s’inscrire aux Beaux-Arts et à faire des études de droit et de pharmacie (1900), à voter – mais elle n’est pas éligible- aux élections prud’hommales. La femme mariée peut ouvrir un livret de caisse d’épargne (1881), témoigner dans un procès sans l’autorisation de son époux (1889), disposer librement de son salaire (1897).

[…]En dépit de ces mesures, et de la prise de conscience qui s’opère, la France est toujours, en 1914, le pays des droits de l’homme, pour reprendre une formule de L. Klejman et F. Rochefort (L’égalité en marche, Ed. des Femmes et  FNSP, 1981)

 

NIVEAUX DE VIE

En dépit des contrastes sociaux, le niveau de vie moyen progresse et les Français entrent, encore timidement, dans le monde de la consommation. L’usage des monnaies fiduciaires (la monnaie-papier) et scripturales (les chèques) devient habituel. Les achats à crédit se répandent.

 

[…]L’analyse de 338 budgets, étudiés, pour la période 1873-1913, par Marguerite Perrot permet d’approcher Les modes de vie des familles bourgeoises (PFNSP, 1982) qui restent stables durant ces quarante années. La famille bourgeoise ne consacre que 23,8% de ses dépenses à l’alimentation, 19,7% à son logement (loyer, aménagement et entretien de la maison). Ce qui laisse environ 20% pour la toilette des parents et des enfants et l’éducation de ces derniers, tandis que 6% sont consacrés aux domestiques. La majorité des budgets dégagent un excédent permettant une épargne dont le taux varie de 10 à 80% du revenu.

 

On peut comparer les budgets ouvriers du début du XXe siècle avec ceux qui ont été recensés, quelques décennies plus tôt, par Le Play et ses émules. Même s’il est en recul, , le poste alimentation constitue encore généralement plus de la moitié des dépenses, tandis que la distribution interne se modifie au dépend du pain et au profit de la viande et des boissons alcoolisées. Le budget-type de l’ouvrier parisien laisserait ainsi apparaître 62% des dépenses consacrées à la nourriture, 23,7% au logement. Restent 14 % pour les autres dépenses, y compris l’éducation. Le prix du pain ne rythme donc plus, au début du XXe siècle, les existences des familles populaires. Mais si le peuple urbain ne consomme plus seulement pour survivre, son mode de vie se situe encore bien loin du modèle bourgeois.

 

L’ENSEIGNEMENT

L’école républicaine du peuple

La loi du 6 juin 1881 instaure la gratuité totale de l’enseignement dans les écoles primaires publiques. La loi de finances de 1889 met à la charge de l’Etat le traitement des instituteurs, et à celle des communes les locaux et le matériel scolaire. Puisque, désormais, l’instruction gratuite est offerte à tous, on peut la rendre obligatoire.

[…]Mais l’assiduité des enfants est encore irrégulière. Il faudra attendre les années 1930 et la généralisation des allocations familiales (dont le versement est subordonné à la fréquentation régulière de l’école) pour qu’elle soit vraiment respectée.

[…]L’enseignement secondaire est réservé aux héritiers

Le nombre des élèves des collèges et lycées ne connaît guère de progression : ils sont  73 000 en 1881 et 89 000 en 1913, l’écart tenant essentiellement à l’ouverture des lycées de jeunes filles (20 000 élèves en 1913). La scolarité reste payante. Certes, il y des bourses, mais elles ne concernent que moins de 15% des élèves, sont modiques et sont accordées dans la moitié des cas aux familles de fonctionnaires.

[…]Au total, l’enseignement secondaire proprement dit, qui ne s’ouvre que tardivement et parcimonieusement aux jeunes filles, continue à privilégier la filière classique et ne démocratise pas son recrutement. Deux systèmes scolaires s’opposent, pratiquement étanches. L’école primaire est l’école du peuple, les lycées et collèges, avec leurs classes élémentaires qui échappent à la gratuité, sont l’école de la bourgeoisie. Seuls quelques enfants des classes moyennes, boursiers, y accèdent.

 

LA DIFFUSION DES LOISIRS

Le sport : esprit militaire et élitisme

Au début de la IIIe République, le sport est une activité presque exclusivement masculine encore très imprégnée d’esprit militaire.

[…]A l’extrême fin du XIXe siècle, se manifestent, dans le sport français, quelques tendances à la démilitarisation, à la démocratisation et à la féminisation.

[…]Enfants de la Belle Epoque et contemporains de la naissance des masses, le cyclisme et le football témoignent de la « démocratisation » du sport. Ils recrutent de plus en plus leurs adeptes dans les classes populaires. Pierre Arnaud (Les athlètes de la république, Privat, 1987) dénombre, en 1909, environ un million de « licenciés » sportifs.

[…]Enfin, comme par le passé, ce sont les élites sociales qui jouent le rôle d’initiateurs : tel est le cas, par exemple, pour la bicyclette et les jeux de ballon. Certaines pratiques – comme le tennis ou les sports automobiles et aériens – restent le privilège de ces élites et le peuple n’y participe qu’en tant que spectateur. D’ailleurs les fédérations manifestent leur attachement au principe de l’amateurisme (le professionnalisme ne touche que le cyclisme, la lutte, la boxe et les courses hippiques) ; c’est le signe de l’emprise qu’exerce sur le sport français une bourgeoisie aisée et jouissant de loisirs.

Plusieurs éléments stimulent l’attrait pour la pratique ou, tout au moins, pour le spectacle sportif. La presse spécialisée, très souvent, organise les compétitions qui popularisent les nouveaux sports. La promotion des activités physiques est également assurée par l’olympisme. […] Les premiers jeux se déroulent à Athènes en 1896. Les seconds – sous le nom de « Championnat du monde amateur » - s’insèrent dans le programme de l’Exposition Universelle de Paris en 1900.

 

 

 

ENTRE-DEUX GUERRES

 

« Une des raisons pour lesquelles Breton parvenait à occuper le devant de la scène était qu’il s’adressait de plein fouet à la crise morale issue de la débâcle de la Première Guerre Mondiale. Elle avait laissé dans son sillage un profond sentiment de désespoir moral, de dégoût des institutions bourgeoises et, avec cela, le désir d’effacer complètement l’ardoise et de recommencer. Aussi bien l’anarchique « dada » (le précurseur du surréalisme) que le « rappel à l’ordre » puriste doivent être compris dans ce contexte. »

                              Henri Cartier-Bresson, premières photographies, une étude de Peter Galassi 

 

 

Vue dans ses traits majeurs, la période 1919-1939 apparaît comme une phase importante de transition.

C’est la France du XIXe siècle à son apogée de la Belle Epoque que les Français s’acharnent à ressusciter dans les années d’après guerre, avec sa démocratie libérale à forme parlementaire, sa monnaie stable, sa société de petits propriétaires travailleurs indépendants, ses valeurs républicaines. Parce qu’il est anachronique, inadéquat aux réalités nouvelles, le projet est voué à l’échec et il échoue effectivement dans la première décennie qui suit l’après-guerre.

Cet échec provoque une période de morosité, mais il entraîne également la recherche fiévreuse de solutions neuves dans tous les domaines, capables de redonner au pays la stabilité perdue. Cette quête de formules économiques, de principes d’organisation de la société, d’institutions politiques efficaces, constitue « l’esprit des années trente ». Mais, bien que porteuse d’avenir, elle est aussi, dans l’immédiat, facteur d’aggravation d’une crise qui est la marque distinctive la plus caractéristique de la France d’entre-deux-guerres.

[…] La défaite militaire, l’effondrement politique de la IIIe République le 10 juillet 1940 sont l’aboutissement de la crise française d’entre-deux-guerres. C’est en reprenant les critiques formulées contre le régime de la République parlementaire que les hommes de Vichy d’une part, les hommes de la Résistance de l’autre, songent à créer une France nouvelle, régénérée et dynamique, sur les ruines de la République défunte. Et c’est le plus souvent dans les réflexions de l’entre-deux-guerres que ceux qui vont représenter dans l’histoire la révolution nationale de Vichy, la Résistance extérieure ou intérieure, la collaboration avec l’Allemagne, puisent les raisons de leur engagement et justifient leur itinéraire.

L’évolution des événements et le climat de la libération vont discréditer quelques-unes des idées émises durant les années sombres. Mais au-delà de toute connotation morale et de tout jugement idéologique, elles sont tentatives d’adaptation des structures du pays aux réalités du moment, et, comme telles, finissent par s’imposer sous une forme ou sous une autre. Restituée dans l’évolution de longue durée, la période de l’entre-deux-guerres peut être caractérisée comme une période charnière de passage de la France des structures, des idées, des mentalités du XIXe siècle finissant à celles du « second XXe siècle ».

La documentation photographique, La France entre deux guerres, Serge Berstein (professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris)

 

( A Paris, en 1938, milieu des étudiants du quartier latin, dans l’entourage de Marguerite Duras, Robert Antelme, Sartre, Beauvoir, Mitterrand…)

 

« Tous ces jeunes gens n’éprouvaient pas le besoin d’une adhésion politique à un parti et ne croyaient pas à une idéologie particulière. Ils avaient le sentiment qu’un changement était nécessaire, que le vieux monde corrompu était incapable de faire face aux difficultés économiques. Rejetant le dogme du communisme ou du fascisme, ils choisissent plutôt parmi un certain nombre de courants de pensées ceux qui donnent priorité au développement spirituel de l’individu et qui proposent la constitution de « communautés d’âmes ». Les influences de Maurras, Barrès, Proudhon, Sorel se mélangent dans les têtes de ces jeunes bourgeois qui se veulent non conformistes et vaguement révolutionnaires. Rive gauche mais pas forcément à gauche. Dans ce climat intellectuel et moral à la fois exalté et incertain évolue le jeune couple Marguerite Donnadieu-Robert Antelme, où la météorologie sentimentale est changeante et les opinions politiques pas définitives. Rares étaient à l’époque les Clara Malraux, antifasciste notoire et pasionaria de tous les combats, figure importante et aujourd’hui trop oubliée. »

                                                                         Marguerite Duras, de Laure Adler, Gallimard